Exposition patrimoniale centenaire de l’exposition des Arts Décoratifs 1925
Charles et Marie-Laure de Noailles à l’Exposition des arts décoratifs de 1925
Le 29 avril 1925, Charles de Noailles écrit à Robert Mallet-Stevens : “ Hélas je ne rentre à Paris que le 15 mai, ce qui fait que je ne verrai pas avant cette date l’Exposition dont je me réjouis tant. Je viens de voir l’Illustration où je trouve que votre station de tourisme est de beaucoup ce qui paraît le plus réussi.”
Le mécène admire ainsi le pavillon du Tourisme construit par l’architecte pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. Organisée sur le modèle des grandes expositions universelles, elle réunit à Paris 21 nations et plus de 15 millions de visiteurs entre le 28 avril et le 25 octobre 1925. Son but est double. Elle doit, d’une part, promouvoir auprès du grand public les arts décoratifs modernes répondant aux besoins, aux mœurs et modes de vie contemporains par l’alliance de l’art, de la science et de l’industrie. D’autre part, elle vise à imposer la France dans un domaine – les arts décoratifs – où elle accuse un certain retard, notamment sur le marché européen.
Elle se veut donc être le manifeste du renouveau culturel qui caractérise l’époque dans tous les domaines. Ce nouvel art de vivre qui épouse le progrès technique accompagne, en effet, le développement d’une société tournée vers la technologie, l’hygiène, le confort et la vitesse. Deux courants se distinguent parmi les exposants : les tenants d’une tradition française précieuse et les modernes, qui se regrouperont au sein de l’Union des artistes modernes (UAM) quelques années plus tard.
Lorsqu’ils se rendent à l’Exposition, Charles et Marie-Laure de Noailles ont déjà pris possession de leur villa moderniste fraîchement achevée à Hyères. En 1923, en passant commande à Robert Mallet-Stevens, Charles de Noailles souhaitait “employer tous les moyens modernes pour arriver au maximum de rendement et de commodité” dans cette maison qui épousait la tendance hygiéniste, proposait tous les équipements de confort, et où les usages traditionnels des pièces étaient reconsidérés. L’accent est alors mis sur la fonctionnalité avec une économie d’éléments décoratifs fixes, des meubles peu encombrants et des rangements intégrés permettant de libérer de la place sur les murs. Si, en 1925, la plupart des aménagements sont déjà commandés et mis en place, le couple a toutefois la volonté de découvrir à l’Exposition des artistes et des solutions nouvelles pour parfaire son installation. Alors qu’ils puisent dans la tendance moderne pour Hyères, les Noailles réaménagent en parallèle leur hôtel particulier parisien de style classique dans le goût raffiné et luxueux qui triomphe, par ailleurs, dans de nombreux pavillons, à tel point que le nom de l’exposition servira à nommer ce courant, « l’art déco ».
Pour ses réalisations à l’Exposition, Robert Mallet-Stevens fait appel à de nombreux artistes avec lesquels il a l’habitude de travailler et qu’on retrouve également dans la villa d’Hyères. Le maître verrier Louis Barillet, qui signe la grande frise des monuments français dans le pavillon du Tourisme, crée les vitraux de la façade nord du clos Saint-Bernard. Les frères Jean et Joël Martel, qui, avec des bas-reliefs dans le même pavillon, célèbrent les modes de transport modernes, imaginent un miroir polyédrique pour le salon de lecture. Cette dynamique de collaboration se développe avec beaucoup de succès dans le pavillon de la Société des artistes décorateurs. Robert Mallet-Stevens, Pierre Chareau et Francis Jourdain s’y partagent quatre pièces particulièrement remarquables, qui forment un ensemble à l’intérieur du pavillon et sont unies par la modernité de leurs solutions d’aménagement modulables et fonctionnels, dont certains éléments trouvent leur place chez les Noailles.
Au-delà des recommandations de l’architecte, le couple de mécènes repère, au fil des salles et des allées, des artistes auprès desquels il passe commande, comme les tabourets et le guéridon de la décoratrice-ensemblière Blanche Klotz ou les tissus de Raoul Dufy pour les meubles du salon de lecture.
L’Exposition fait également la part belle aux jardins, passion de Charles de Noailles qui s’intéresse particulièrement à la proposition architecturale d’un autre collaborateur de Robert Mallet-Stevens, Gabriel Guévrékian. Son jardin radical, où des dalles de verre coloré réhaussent les parterres fleuris, frappe à ce point le vicomte qu’il en commande une réplique, adaptée aux contraintes du terrain de sa villa. Aujourd’hui encore, ce jardin d’avant-garde figure la proue d’un paquebot moderne, emblème d’un programme architectural et décoratif total.
Le cinéma tient également une place importante à l’Exposition, et Robert Mallet-Stevens, qui s’est fait connaître en tant que décorateur pour les studios, en est l’un des artisans. Il s’agit de défendre l’avant-garde impressionniste française face aux puissances cinématographiques allemandes et étasuniennes. Dès 1924, le film L’Inhumaine de Marcel L’Herbier entend promouvoir les arts décoratifs français, notamment auprès du public étranger, et préfigure l’Exposition l’année suivante. Mallet-Stevens et Fernand Léger en conçoivent les décors. Le mobilier est signé par Pierre Chareau et les costumes par Paul Poiret, tandis que Darius Milhaud compose la musique. Cette expérience, renouvelée en 1926 avec le film le Vertige, confirme la fécondité créative de l’alliance entre les personnalités et les disciplines artistiques. Certaines des trouvailles décoratives de Mallet-Stevens pour le cinéma prendront place dans la villa d’Hyères. Charles de Noailles, en outre, s’engage en soutenant la société de production Cinégraphic. Cette dernière produira notamment le film Biceps et bijoux de Jacques Manuel, assistant de Marcel L’Herbier, tourné au clos Saint-Bernard.
Par la diversité des pièces et des styles présentés, mais aussi par les innovations qu’elle place sur le devant de la scène, l’Exposition des arts décoratifs de 1925 exerce une influence déterminante sur les partis pris esthétiques de Charles et Marie-Laure de Noailles. Cent ans après, la villa Noailles est réaménagée avec l’atmosphère initiale du clos Saint-Bernard, lorsque la maison était ce laboratoire de la modernité, reflet des recherches, des ambitions et du foisonnement créatif d’une époque charnière dans le développement des arts décoratifs. Le public pourra déambuler sur les traces de ses commanditaires, à travers des œuvres, des objets, des artistes et des motifs qui ont façonné le goût des deux mécènes et marqué ce renouveau de la création.
Commissariat : Alexia Le Bris et Thomas Lequeu
Scénographie : Maria Jeglinska-Adamczewska, Office for design & research
En partenariat avec : Relax Factory, Atelier François Pouenat, Codimat Collection.
Prêteurs des objets et pièces de mobilier : Musée des tissus et des arts décoratifs de Lyon, Galerie Avenir, Maison Christofle, Galerie Doria, Fassen, Galerie Jacques Lacoste, Galerie Marcilhac, Galerie MCDE - édition Pierre Chareau.