LES NOMMÉ·E·S 2021
Par la découpe et le collage de fragments extraits de sources variées sur la surface de la toile, Annabelle Agbo Godeau crée des mises en scènes fantasmatiques où dialoguent une profusion de détails symboliques, des textes ambigus et des faux‐semblants. Ses peintures se nourrissent autant de subcultures d’internet, de contenu fétichiste du XXe siècle que de contes mythologiques. Elles mettent en scène des figures féminines qui s’inscrivent dans le champ de la représentation du corps et de son histoire aussi riche que critique. En rejetant l’idée d’un regard neutre, Annabelle Agbo Godeau embrasse ainsi une position sensible et sensuelle.
Les films d’Amie Barouh sont nourris de rencontres avec des personnes et des communautés vivant
en marge de la société. Ce n’est pas la caméra qui est allée à la rencontre de celles‐ci, mais c’est en vivant avec elles que la caméra est apparue, pour témoigner de son expérience.
C’est ainsi qu’Amie Barouh a intégré une famille de Roms vivant dans un bidonville en banlieue parisienne. Le but étant de devenir Romni
(femme rom). Elle a appris leur langue internationale et leur mode de vie. Un des membres de cette famille lui a demandé de filmer une noce. Depuis, la caméra est devenue l’expression de prédilection de l’artiste, un outil lui permettant de capturer le mariage des cultures, sans dénaturer une culture ou une autre.
Travaillant en coloriste, Lucie Boiron sculpte les chairs, interroge la vérité biologique des corps, fascinée par la sensualité, l’infâme.
« La photographe débusque sur les chairs offertes au soleil la morsure du temps et les stigmates de l’été. S’y dévoilent rides, égratignures, boutons. La sueur qui perle sur un front, les plis d’un cou tanné ou la corne ramollie d’un orteil ayant trop mijoté dans la piscine. (…) L’ambiguïté avec laquelle Lucile Boiron observe son microcosme rejaillit sur l’ambivalence que l’on ressent face à ces échantillons nappés d’une inquiétante étrangeté. Répulsion ou attirance, pourquoi choisir ? Il se joue une tension dans ses images entre bienveillance et cruauté, « mi‐amoureuses, mi‐meurtrières » précise‐t‐elle
en citant Le Roi des Aulnes de Michel Tournier. L’ogresse remplie d’admiration voit dans la photographie « un rapt, une manière métaphysique de posséder l’autre, faire son image sienne ». Décortiquer, dépiauter, désosser, l’appareil photo
a tout du microscope et du scalpel entre ses mains. »
Extrait de l’entretien « Lucile Boiron expose ses photos au scalpel » d’Elodie Cabrera pour Télérama, 13/01/2021
Lisa Boostani est une artiste multidisciplinaire d’origine hispano‐iranienne. Elle travaille en tant que réalisatrice et photographe dans le domaine du documentaire, de la mode et de la musique.
Sa fascination pour la gestuelle, les dynamiques corporelles et le domaine des rêves, l’a naturellement menée vers la performance. À travers elle, elle explore le langage psycho‐physique, éprouvant son propre corps comme matériau de base, vivant et mutable. Ses recherches s’inscrivent dans une démarche initiatique et guérisseuse, où la mise à distance et le dépassement de soi ouvrent la voie vers une nouvelle conscience. Dans des mondes imaginaires et des installations immersives habitées de personnages fictifs, elle joue des symboles et des archétypes afin de questionner notre rapport au monde. Un antidote servi avec humour, pour se libérer de la norme et des divers conditionnements.
Travaillant avec la vidéo, la sculpture et la performance, les intérêts actuels de Madison Bycroft s’étendent aux formes de lecture
et d’écriture, d’expression et de refus. Les politiques d’illisibilité et de lisibilité sont explorées à travers le langage et le matériel, en se demandant
comment le « sens » est encadré par des contextes historiques, des préjugés terrestres et des structures de pouvoir.
Les séries de peintures d’Hugo Capron sont consacrées à l’exploration des modes opératoires et compositionnels de la peinture et s’étirent parfois sur des dizaines de tableaux. Qu’il s’agisse de feux d’artifices, de carpes ou de crevettes, c’est à la fois un processus d’élaboration du tableau comme autant de mécanismes qui est établi, mais aussi un regard porté avec malice sur le tableau en tant qu’objet. Par le recours à une esthétique exotique et décorative, l’artiste revisite également la fascination mythopoétique du Japonisme, qui, dès son émergence au milieu du XIXe siècle, n’avait pas manqué de susciter chez les artistes français·e·s un formidable engouement qui ne s’est toujours pas tari.
Les peintures d’Ymane Chabi‐Gara représentent des individus, seuls ou en groupes restreints, dans des univers et des situations miroirs de leur intériorité. Ces espaces domestiques ou ces friches 2021 industrielles servent de support à la narration, guidée par des impressions formelles et colorées. Un dessin très détaillé détermine la structure de la composition, puis l’expérience de la peinture pour elle‐même ouvre sur des possibilités sensibles. Le corps sert de point de convergence vers lequel toute l’expérience tend et trouve du sens, le corps des autres mais aussi, depuis peu, le sien.
Cette mise en scène d’elle‐même touche à la fois à la singularité de l’intime et à la solitude comme sentiment archaïque et universel.
Le travail d’Hadrien Gérenton prend souvent comme point de départ une somme d’images et de souvenirs collectés. Ces dernières années, la plupart
de ses œuvres ont été influencées par différentes observations de paysages, de périphéries urbaines et par certaines idées de mythes et de légendes.
Ces sculptures, dessins et peintures sont comme des souvenirs de fragments de paysages. Ils sont composés de figures abstraites ou figuratives, incluant divers matériaux industriels faisant référence à l’organique, au minéral ou au végétal.
Les œuvres traitent d’une idée d’une nature évolutive, résiliente, qui se métamorphose, à travers le filtre de la fiction et du fantasme. Elles émettent l’hypothèse que les activités humaines récentes ont conduit la vie naturelle à adopter de nouvelles stratégies de vie.
Durant son adolescence, Juliette Green a mis au point un système d’écriture singulier pour prendre des notes à l’école. Les textes y rencontraient
des dessins, des pictogrammes, des cartes, des plans d’architecture, des personnages et des bulles de bande dessinée. Fidèle à cette méthode, elle s’en sert désormais pour raconter des histoires qu’elle invente de toutes pièces et qui ont souvent pour point de départ des questions existentielles : Qui a fabriqué les objets qui nous entourent ? Qu’est‐ce qui fait naître les vocations ? Comment la vision qu’on a de notre avenir évolue‐t‐elle au fil de notre vie ?, etc.
À la découverte du travail de Cécile Guettier, notre regard est à la fois emporté par des couleurs en vibration, un fourmillement de traits, une variété de matières, et fixé par une composition claire et des tracés sensibles. La volonté de l’artiste rencontre sur la toile et le papier, au carrefour des détails, un bizarre hasard, des accidents propres au langage pictural qui vont dans le sens de ses représentations et les renforcent. C’est à croire que l’image préexistait comme un aimant dans le blanc, et que toute tâche tombant sur le support allait la remplir. Les figures présentes dans son travail n’appartiennent ni au rêve ni au cauchemar ; chimériques, leurs couleurs attrayantes nous gardent d’être effrayé·e·s par elles, et leurs actes inquiétants de vouloir les rencontrer. C’est sans doute cette ambivalence qui rend généreuse la contemplation de ces œuvres. Une excitation silencieuse s’installe, notre imagination va d’indice en indice.
Par leur singularité plastique et narrative, les images de Cécile Guettier prennent place dans notre mémoire auprès de celles qui nous apportèrent des réponses en même temps qu’elles inventaient les questions.
La pratique de Louis Jacquot se situe entre deux traditions artistiques, celle de la pratique du tableau abstrait moderne et celle de l’écriture dans l’espace et la spatialisation des œuvres. C’est dans ce constant aller‐retour, entre la production de tableaux et leur installation dans l’espace d’exposition, que Louis Jacquot opère des écarts et met en crise l’autonomie supposée de l’œuvre au regard du contexte dans lequel on la perçoit. Tout dans la réalisation de ses peintures, du prélèvement iconographique des scènes d’atelier à la situation minimale dans laquelle il la représente au moyen de perspectives cavalières indiquant l’intérieur architectural de l’espace, sème le trouble entre l’objet de la représentation et l’espace dans lequel il se retrouve exposé.
Antoine Medes produit les pièces qu’il lui semble nécessaire de faire apparaître. Traversé au quotidien par une grande variété d’images (mèmes, tropes, cultures de niche…), il digère et entremêle les objets de ses multiples passions en faisant abstraction des hiérarchies qui les distinguent. Des médias
qu’il consomme, il fait feu de tout bois pour composer un langage non verbal mais relatable, sollicitant l’empathie des autres. Ainsi, ses sculptures, dessins et installations trouvent leur force dans le trouble des sentiments sans nom qu’elles invoquent, plutôt que dans la certitude de récits fixes et précis gravés dans le marbre de leurs intentions. Ses collaborations artistiques avec Louise Aleksiejew et Clément Garcia‐Le Gouez incarnent pour lui d’autres manières d’esquiver le statut traditionnel d’auteur·trice au profit de différentes formes de co‐création.