“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier

du 9 mars au 27 avril 2024
“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères

Dessin de designer
“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier

Arrangements 1993—2023

Après Pierre Charpin en 2022 et Ronan Bouroullec en 2023, cette année, la villa Noailles, dans le cadre de sa programmation hors-les-murs, met à l’honneur Nathalie Du Pasquier, du 9 mars au 27 avril 2024, à l’Hôtel des Arts à Toulon.
L’exposition mettra en lumière les dessins produits durant ces trente dernières années par cette artiste vivant depuis plus de 40 ans à Milan où, après avoir été membre fondatrice du groupe Memphis dans le domaine du design et de l’architecture en 1980, elle se consacre principalement à la peinture depuis 1987.
L’exposition sera également l’occasion de découvrir le film documentaire “Portrait of my sister as an artist” que Judith Du Pasquier a consacré à sa sœur en 2021.

Arrangements 1993-2023 est une exposition centrée sur les dessins et œuvres sur papier réalisés par Nathalie Du Pasquier pendant trente ans.
Si pour beaucoup le dessin est surtout destiné à servir de terrain d’entraînement ou à des projets de peintures, dans le cas de NDP les œuvres sur papier sont des œuvres à part entière.

NDP s’oppose au temps linéaire et a une nouvelle fois choisi de présenter les œuvres sans aucun critère chronologique ou thématique. Cette exposition est un archipel de compositions obtenues par juxtaposition de dessins qui, bien que nés enfants uniques, se retrouvent à vivre ensemble dans des familles élargies qui renforcent leur sens. Elle sort des tiroirs des œuvres sur papier de différents formats, certaines réalisées à l’encre, au crayon de couleur, au pinceau, en noir ou en couleur. En combinant des dessins de différentes techniques et époques, NDP a créé de nouvelles œuvres polyphoniques qui n’existent que pendant la durée de l’exposition. L’exposition est donc un lieu magique où peuvent avoir lieu des rencontres qui pourraient rarement avoir lieu en dehors d’ici.

Les œuvres sont présentées sans cadre, plates comme les pages des livres avec lesquels l’artiste aime souvent expérimenter.

Contrairement à la peinture, les dessins se réalisent beaucoup plus rapidement, ils sont plus aventureux. Contrairement à ceux qu’elle a réalisés lorsqu’elle travaillait avec Memphis dans les années 1980, ces dessins ne sont pas des dessins de conception car ils ne sont pas destinés à être appliqués à quoi que ce soit. Ce sont des esprits libres.

Outre les images, l’exposition présente des mots et des phrases installés au hasard sur les murs comme des dessins. Ils sont empruntés à deux auteurs français chers à NDP : Pierre Mac Orlan et l’humoriste Chaval. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, ces fragments de textes n’ont pas vocation à illustrer les images mais opèrent à un niveau parallèle, presque pour créer d’autres images. De plus, les textes sont dessinés et non imprimés, créant ainsi un flux visuel unique.

“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
Intention

L’exposition sera composée de dessins très variés, sortis des tiroirs en désordre à l’occasion de l’invitation de la villa Noailles. Je suis peintre et les dessins occupent une place différente dans ma pratique. Longtemps associés aux dessins de projets des années 80, j’ai mis du temps, lorsque j’ai commencé à peindre, avant de me remettre à dessiner. En effet s’il n’y a aucune période pendant laquelle je ne peins pas, il y a en revanche des périodes parfois longues durant lesquelles je ne dessine pas.

Mes dessins ne sont pas des croquis préparatoires pour des peintures, ce sont des œuvres à part entière. Ce que j’ai regroupé sous le terme de dessins pour cette exposition sont des choses sur papier, de formats très différents, au crayon de couleur, parfois à l’encre, certains au pinceau, en noir ou en couleur. J’ai tenu à l’écart les dessins/projets des années 80 car, quand j’ai commencé à peindre et que j’ai abandonné mon occupation autour du design, je suis entrée dans un nouveau territoire. Avec cette exposition c’est donc la période qui débute à la fin des années 80 qu’il m’intéresse de montrer. Cette exposition me donne aussi l’occasion, comme j’ai commencé à le faire avec l’exposition Campo di Marte à Rome et Sérignan, de mélanger des dessins de techniques et époques différentes pour créer des œuvres nouvelles. Il s’agit donc d’une exposition “d’art contemporain” !

Il y a les dessins réalisés pendant les vacances, quand je ne peux pas peindre, qui décrivent des objets autour de moi, il y a les dessins qui racontent des histoires, parfois avec des personnages, il y a des dessins de choses que j’aimerais voir, il y a aussi, et ceux-là sont plus récents, des dessins abstraits qui sont un peu comme des peintures, des natures mortes/paysages de formes et de couleurs. Chacun de ces dessins est achevé. Comme le dit Georges Perec, je suis comme le paysan qui cultive des choses différentes dans ses différents champs. Cette définition campagnarde me plaît car elle reporte ces petits travaux dans un espace naturel sans ambition particulière. Parfois ils me donnent des idées pour des peintures, mais c’est seulement quand ils sont terminés qu’éventuellement j’y pense. Et puis un autre avantage avec le papier c’est qu’on ose peut-être plus, et on voit plus vite le résultat.

Pour cette exposition je composerai donc sur les murs des arrangements de dessins d’époques différentes et puis j’installerai aussi quelques grands dessins pour que l’œil ne se perde pas à scruter les petits formats. J’essaierai de composer des chambres avec des thèmes qui restent assez flous, mais je voudrais éviter la monotonie. Quand j’ai commencé à sortir les dessins des tiroirs, il m’a semblé que je voulais aussi des paroles ou même des phrases, pour encourager le regardeur à ne pas se fixer sur le sujet des dessins mais à se construire une narration. Que l’histoire qu’il pourrait se raconter à partir de ces arrangements soit une histoire sans queue ni tête peut-être, mais une histoire où les paroles ajouteraient d’autres dessins à ceux qui sont au mur. J’ai toujours aimé dessiner les lettres et quand j’étais jeune je crois que le premier métier que j’ai imaginé pouvoir faire était “peintre en lettres” comme je l’avais vu faire en Afrique. Je me suis donc mise à dessiner des paroles. Comme je ne suis ni écrivain ni philosophe j’ai ouvert des livres que j’aime et qui sont en ce moment sur ma table, j’y ai pioché au hasard des paroles. Certaines, banales, peuvent être dites par n’importe qui, d’autres sont plus identifiables, les amateurs y reconnaîtront peut-être Chaval ou Pierre Mac Orlan.

“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
Entretien avec Nathalie Du Pasquier

C’est la première fois que tu présentes une exposition axée sur des dessins ou des œuvres sur papier. Comment est-ce arrivé ?

En réalité on m’a demandé de faire une exposition de dessins uniquement et je me suis adaptée à la demande. J’ai tellement de choses dans mes tiroirs et j’ai retrouvé des œuvres que j’avais oubliées. Les dessins sont différents des peintures, ils sont plus rapides, on ose plus.

En faisant une comparaison littéraire, je dirais que le tableau ressemblerait à un roman tandis que le dessin ressemblerait davantage à de la poésie. Le dessin est une émanation plus directe et instinctive d’une idée tandis que la peinture correspond à quelque chose de plus structuré. Cependant, certains artistes ont traité le dessin comme une peinture et non comme une esquisse. J’ai l’impression que c’est le cas pour toi aussi.

Mes dessins ne sont pas des esquisses ou des ébauches de peintures mais des œuvres finies. Contrairement à la peinture, les dessins sont réalisés plus rapidement et ne doivent pas nécessairement s’inscrire dans une séquence de peintures, ils sont plus aléatoires. Il y a des périodes où l’on ne dessine pas, d’autres où l’on dessine beaucoup, et d’autres encore où l’on fait des dessins au crayon très précis qui ressemblent à des peintures. Les dessins à l’encre sont encore autre chose car il s’agit d’un médium très différent. Ces dessins sont le résultat de gestes plus intuitifs dont le résultat est parfois mystérieux. Le signe qui résulte de ces mouvements est inattendu, c’est une technique plus aventureuse.

Tu as déjà dit que dessiner était plus rapide que peindre. Veux-tu dire à une échelle purement technique ? La différence se situe-t-elle seulement à ce niveau-là ou aussi sur la dimension conceptuelle étant donné que certains dessins sont réalisés avec le même soin qu’une peinture ?

La différence réside dans la technique. Dans les œuvres réalisées à l’encre, la technique pousse à faire des choses plus immédiates. La façon dont le pinceau atteint le papier avec l’encre est très différente de la façon dont le crayon atteint la main pour la suivre sur le papier.

J’ajouterais qu’on associe le crayon à quelque chose de réinscriptible et d’effaçable. Dessiner donne plus de liberté car il ne nécessite pas de toile, de couleurs ou de pinceaux. C’est moins cher.

Exactement. L’aspect économique a certainement aussi à voir avec la plus grande aisance dont on dispose sur le papier.

Dans l’exposition, tu as choisi une période précise : 1993/2023. Pourquoi avoir choisi 1993 ?
Autour de 1993, je me suis sentie suffisamment peintre, je pouvais à nouveau dessiner sans craindre de retourner aux choses que j’avais voulu laisser derrière moi.

Dans ton histoire, le dessin apparaît depuis le début. Pendant que tu travaillais avec Memphis, tu réalisais des dessins pour tissus mais aussi des dessins d’ambiances, d’objets et d’architecture. Tu avais à faire au même outil mais d’une manière totalement différente.

C’étaient tous des espèces de projets meme si aucun n’était réalisé.

De nombreuses créations de cette période étaient “fonctionnelles” mais sortaient toujours de ton imagination.

Mais oui, totalement. En fait, lorsque j’ai publié un livre sur mes dessins des années 1980, je suis revenue sur ces dessins oubliés et j’ai réalisé que mon nouveau travail avait été influencé par des choses faites dans le passé. J’avais depuis longtemps divisé le travail en deux phases bien précises pour clarifier la manière dont je voulais me présenter au monde. Quand j’ai commencé à peindre, je ne pouvais pas me présenter comme designer car à cette époque la séparation entre les domaines était encore très claire et la polyvalence n’était pas très bien vue.

Ces dernières années, dans tes publications, tu as commencé à associer à tes œuvres des textes, des extraits de livres ou des poèmes. Tu en avais fait l’expérience d’abord sur l’espace bidimensionnel du livre, puis tu l’as traduit dans l’espace d’exposition. Ce ne sont pas de simples citations car tu les transcris de ta propre main ce qui les associe à ton travail les rendant tiens.

Ce sont des dessins littéraires.

Mais celle-ci est la première exposition dans laquelle tu mets des mots à côté des œuvres.

Oui. Je dessine ces textes et ces mots comme j’ai envie qu’ils soient, afin qu’ils deviennent de véritables dessins à côté des autres dessins.

Un autre aspect de ton travail est ta fascination pour la reproduction d’œuvres plutôt que pour les originaux. On passe de l’intervention sur papier imprimé à l’espace tridimensionnel de manière fluide.

C’est peut-être parce que le vieux designer en moi travaille toujours sur quelque chose qui souhaite pouvoir se reproduire. Lors de ma prochaine exposition, j’aimerais n’apporter que des reproductions à l’échelle 1:1 des œuvres au lieu des originaux.

Tu n’utilises aucun ordre chronologique et dans l’exposition tu combines différents éléments (cut-out, dessins au crayon, dessins à l’encre). Tu travailles généralement sur des expositions à partir de maquettes. Dans ce cas c’était différent.
Cette fois la maquette est arrivée dans un second moment, d’abord j’ai pris les dessins, je les ai collés au mur de l’atelier comme je les aurais voulu aux murs de l’exposition et j’ai pris des photos pour voir le résultat. J’ai commencé par photographier les œuvres sur un vrai mur et non sur maquette.

“Je vois l’espace et les murs comme une page. Cette exposition est très plate, elle est conçue comme un livre. Le tout sera assemblé sans cadres, juste avec des clous et du ruban adhésif.”**

Tu n’encadres jamais les dessins, ce qui leur confère une certaine propension à agir comme des éléments à intégrer aux autres au sein d’un grand collage.

Dans l’exposition, on ose davantage et le grand collage dont tu parles peut être sujet à des modifications au cours de l’installation, comme si on faisait un nouveau dessin.

Comment as-tu choisi les auteurs à qui emprunter les mots pour l’exposition ?

Pierre Mac Orlan a écrit des chansons que j’aime beaucoup. J’avais un livre de ses poèmes dans lesquels il écrivait des choses apparemment banales mais toutes liées au cirque et à une faune de gens très libres. J’ai aimé les avoir comme spectateurs parmi les dessins. Les autres mots sont de Chaval, un humoriste français de mon enfance qui me fait encore beaucoup rire.

Lorsque le mot est associé aux œuvres, le spectateur est inévitablement amené à penser qu’elles illustrent les images alors qu’en réalité elles opèrent à deux niveaux complémentaires mais distincts.

Je ne veux pas qu’ils illustrent mais qu’ils produisent une autre image. J’aime assez qu’ils détournent le sens du dessin.

Bien que la plupart des dessins soient abstraits, géométriques, dans les expositions – grâce aux compositions dans lesquelles tu les présentes – ils atteignent une forte dimension narrative. J’aime la façon dont tu traites les œuvres dans les expositions car elles ne sont jamais des éléments isolés mais font partie de constellations bénies.

La “déhierarchisation” des temps modernes !

NDP

Nothing Definitely Perfect

Nathalie fait ressortir après les y avoir fait entrer, les objets et les volumes géométriques du tableau pour en faire des constructions en volume qu’elle se met ensuite à peindre dans ses tableaux.
Sa technique devient alors celle du faire, défaire, refaire. Rien n’est définitivement parfait !

“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères

Depuis que nous nous sommes liés d’amitié au milieu des années 1990, celle de deux personnes pleinement engagées, chacune à sa manière et à des fins différentes, dans le développement de leur processus plastique, jamais je n’ai vu Nathalie s’arrêter ou même marquer une pause.
Nathalie avance.
Et quoi qu’il puisse se passer autour, bien qu’elle soit pleinement sensible et réceptive à tout ce qui l’environne, de proche ou de loin, il semble que rien ne peut arrêter son élan, rien ne peut gripper sa mécanique interne, celle d’être à l’ouvrage quotidiennement, au rythme qu’elle a défini pour elle-même, celui de la peinture, du dessin, des constructions, ou des installations de plus grande envergure (expositions). Et lorsque qu’à chaque visite, malheureusement trop souvent espacées du fait de notre éloignement géographique, elle m’ouvre, tout sourire en signe de bienvenue, la porte de son atelier, apparaît au second plan le grand mur frontal éclairé latéralement où se trouvent ses travaux en cours, j’ai toujours cet empressement à regarder ce qui s’y trouve, poussé par ma curiosité et mon désir d’aggiornamento, pour saisir où en est Nathalie.

Et toujours, ce qui se présente, quel que soit son état d’avancement, fait passer au second plan ce que j’avais pu voir la fois précédente, car c’est ce qui est en train d’advenir, ce qui se joue dans l’instant de l’acte de faire qui prend le dessus sur tout le reste. C’est là le ressort intérieur de Nathalie, sa façon d’être dans la peinture et le dessin, sa façon d’être au monde. Et tout ce qu’elle a déjà accompli, qui faut-il préciser est désormais considérable, ou même ce qu’elle pourrait entreprendre dans un futur proche ou lointain, semble avoir une importance relative, du moins en apparence, tellement elle est impliquée et absorbée par ce qui la tient dans le présent.
Et cela prend une évidence encore plus grande lorsque Nathalie me montrant la série sur laquelle elle est en train de travailler me dit, dans la complicité qui nous lie, celle de l’expérience que chacun de nous a de l’intimité du dessin, « Pierre, tu ne peux pas savoir comme c’est le pied de faire cette série de dessin » (ou peinture, ou construction ou installation etc., etc.).
Il n’y a pas le moindre doute, tout ce faire est porté, peut-être même avant toute autre chose, par le plaisir, la jubilation de l’acte de peindre ou de dessiner. Mais c’est un plaisir tenu et exigent, qui demande un plein engagement et une certaine rigueur, ce qui n’enlève rien à la dimension sensible de ce qu’elle réalise, ni à la façon dont elle fait exister sur la surface de la toile, de la feuille de papier ou dans l’espace, ses formes circonscrites, qu’elles soient figuratives ou abstraites, tout simplement formes.
Et si ce que je vois dans l’instant même où je m’avance dans l’atelier a un lien indiscutable avec ce que j’avais vu lors de ma précédente visite, souvent espacée de plusieurs mois, ce n’est pourtant jamais exactement la même chose, parfois pas la même chose, mais tout de même un peu la même chose. Et je dois bien reconnaitre une certaine difficulté à me souvenir précisément de ce que j’avais vu la fois précédente ou celle d’avant ou celle d’avant encore, cela depuis maintenant plus de 20 ans. J’ai peine à isoler et à nommer un tableau, un dessin, une construction, quand bien même j’ai souvent exprimé mon enthousiasme et mon intérêt particulier pour certains d’entre eux, ceux qui plus que d’autres interpelaient plus fortement mon regard. Ce que me renvoie ma mémoire, c’est avant tout un continuum en lente évolution, où je peux retracer, de façon non exhaustive ou “scientifique” (je laisse cette tâche
à des regards plus experts), les différentes phases de l’évolution de son travail artistique.

“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères

Si j’ai dans un premier temps connu seulement de nom la Nathalie Du Pasquier designer, membre du groupe Memphis, fait qui aura une incidence majeure sur son propre développement par son immersion, très jeune, dans un milieu socioculturel Milano-international, marqué par la figure tutélaire et charismatique d’Ettore Sottsass, j’ai connu la Nathalie artiste en personne alors que son travail de peintre était déjà bien engagé, mais non encore pleinement reconnu comme il l’est à juste titre aujourd’hui.
Si ma connaissance des premiers travaux “post design” est plutôt limitée, je peux tout de même identifier cette phase comme étant celle d’une expression qui se cherche, tant dans la technique même de la peinture que de son contenu (quoi et comment le représenter). Mis à part la présence du motif (continuité indiscutable avec son travail au sein du groupe Memphis), ce qui retient l’attention c’est la présence fréquente de figures.

Ce qu’en revanche je connais de façon plus intime, par le privilège d’avoir avant tout accès à son travail dans le lieu
même de sa production, l’atelier, c’est la longue période des “style life”, qui elle-même se sous divise en différents moments.
Quoi qu’il en soit, le geste de peindre est devenu plus affirmé, volontairement maitrisé, pour produire ce que j’ai nommé plus haut les formes circonscrites, des formes qui se définissent par une très grande attention portée à la précision de leurs contours.
Dans un même temps, le tableau devient toujours plus clairement un espace de réception qui reçoit tout ce que Nathalie y fait entrer, de façon plus ou moins ordonnée, plus ou moins dense, principalement des objets usuels qu’elle a rassemblés au cours des années dans son atelier, objet qu’elle considère avant tout comme forme et couleur.
Dans ce sens, elle va petit à petit placer au milieu de ces objets (jusqu’ici son sujet ou du moins son alibi), des volumes géométriques simples, qui se présentent comme pure forme, en contraste avec les objets formes : théière, panier, agrafeuse, pelote de ficelle, marteau, torchon, carafe, brique, livre, entonnoir, cailloux…
Ce qui caractérise l’évolution majeure de cette phase des style life, c’est ce mouvement qui va aller en s’amplifiant, mouvement de va et vient entre de ce qui rentre et ce qui sort du tableau. Car c’est bien cette dynamique qui va naturellement conduire aux constructions puis plus tard aux installations. Nathalie fait ressortir après les y avoir fait entrer, les objets et les volumes géométrique du tableau pour en faire des constructions en volume qu’elle se met ensuite à peindre dans ses tableaux. Sa technique devient alors celle du faire, défaire, refaire. Rien n’est définitivement parfait !

Dès lors, tout se met en mouvement, dans un jeu d’agencement tout le temps repensé, devenant le fondement de son système plastique, qui consiste à établir de manière infinie de nouvelles relations, de nouveaux modes d’articulation entre les différents éléments qu’elle a à disposition, dont le fruit de son propre travail. Il n’y a plus d’objet isolé, tout objet est voué à entrer dans un tissu de relations avec d’autres objets, et le tableau n’est plus seulement, comme c’était le cas auparavant, considéré comme une entité autonome qui produit sa valeur à l’intérieur de ses propres limites, son cadre, mais dans sa relation avec d’autres objets et l’espace dans lequel elle le place. Et dans ce mouvement, la présence des objets usuels du début de la période des style life va peu à peu se raréfier ou disparaitre (après celle des humains celle des objets) pour laisser place à un langage basé sur la géométrie, une géométrie chaude, délibérément altérée par la vibration de la touche du pinceau, du crayon et de la couleur.

Mais à bien y repenser, je ne crois pas trop m’avancer que de voir l’origine de tout ceci dans ce que Nathalie aime à faire depuis bien longtemps, concevoir de multiples petites publications, des cahiers ou des livres, publiés pour beaucoup d’entre eux à compte d’auteur, dans lesquels elle combine, agence, réintervient sur, recadre, compose avec les images de son propre travail et de ce qu’elle produit spécifiquement pour les publications, comme par exemple l’ajout de mots, paf, crac, boum biiip, wroom, domani, action, mistake… des mots vifs et qui claquent comme les couleurs franches et directs qu’elle emploie dans ses livres.

Ce serait un manquement que de considérer ces publications comme secondaires dans l’ensemble de sa pratique. Car, au-delà de leurs qualités propres et du plaisir qu’on a à les regarder sans doute tout aussi fort que celui qu’elle a à les concevoir, c’est par et dans ces publications qu’elle a éprouvé et mis en place son art des agencements. Et il aura fallu un certain temps, celui de la maturation, avant qu’elle se mette à faire à bien plus grande échelle et à l’épreuve de l’espace, dans ses installations et ses expositions, ce qu’elle expérimentait joyeusement et légèrement dans ses publications.

Son exposition “Big Objects not always silent” à la Kunsthalle de Vienne en 2016 en est la première démonstration à grande échelle, elle inaugure sa pratique des grandes installations qu’elle réalise depuis dans différents musées, centre d’art ou galeries d’Europe et d’Amérique du nord.

Tout ce que je viens de tenter de décrire, n’aurait pas pu advenir sous cette forme, immédiatement identifiable comme étant celle de Nathalie, sans son interaction profonde avec la ville de Milan où elle habite et travaille depuis la fin des années 70. Milan n’est pas la ville de Bordeaux, sa ville d’origine, ni Paris où elle n’a jamais habité, pas plus que Marseille ou Rome où elle a quelque temps séjourné. Milan a sa propre lumière, qui n’est ni celle du Sud ni celle du Nord, ses couleurs, ses différents styles architecturaux, ses façades et leurs vocabulaires, ses largeurs de rue, ses tramways, ses cafés, ses sons, ses odeurs, ses figures et personnalités, son histoire… Et tout ceci se traduit dans ce que Milan produit comme esthétique et culture et c’est à cette culture que Nathalie doit son appartenance, bien plus qu’à celle de ses origines.

C’est dans la quiétude de son atelier du Corso di Porta Nuova qu’elle s’attache à avancer assidument, sans qu’aucune route ne soit définitivement tracée, pas même celle de chercher à produire à tout prix une Œuvre. Et Nathalie a bien raison de se sentir détaché d’une telle visée, puisque son œuvre se constitue par elle-même. Elle est le résultat d’un long processus et non d’un objectif à atteindre.
C’est là qu’elle conçoit et met en forme les multiples expositions qui lui sont aujourd’hui consacrées, qui ne sont pas des livres que l’on tient dans la main et feuillette du regard, mais des installations qui investissent la totalité de l’espace dans lequel elle nous invite à pénétrer corps et âme et à nous laisser saisir et porter par l’attraction que produit sur nous son monde de formes et de couleurs qu’elle ne cesse de réagencer pour à chaque fois nous réenchanter.

“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères
Nathalie Du Pasquier

Nathalie Du Pasquier est née à Bordeaux en 1957, elle vit à Milan en Italie depuis 1979.

Elle travaille comme designer, principalement de tissus, fait partie du groupe Memphis, ce qui l’amène à dessiner aussi des meubles et des objets. Elle travaille avec son compagnon George Sowden jusqu’en 1987.
Elle commence alors à peindre et abandonne le design.

Pendant 20 ans, jusqu’en 2009, elle collabore avec une galerie de Hong Kong, le Cadre Gallery, grâce à laquelle son travail avance loin des contraintes du marché occidental. Elle expose aussi dans quelques galeries en Europe, mais ce n’est qu’en 2016 à l’occasion de sa première grande exposition dans un musée, la Kunsthalle de Vienne, invitée par le curateur italien Luca Lo Pinto, que son travail de peintre émerge réellement.

Quand elle commence à peindre en 1987, le monde des objets devient vite son thème principal. C’est une longue série de natures mortes d’objets, dans laquelle se développe son intéret pour l’espace entre les choses et la structure des compositions. Peu à peu, ce sont des constructions en bois qu’elle réalise à partir de morceaux trouvés qui remplacent les objets du quotidien qu’elle représente. Ce sont des constructions colorées, abstraites et assez géométriques.

Les tableaux qui en résultent semblent des peintures abstraites, bien que ce soient des natures mortes très réalistes. Aux alentours de 2014, elle va abandonner ses modèles pour élaborer des constructions directement sur la toile. On peut donc dire que c’est à partir des constructions tridimensionnelles qu’elle aborde l’abstraction. Elle continue à fabriquer ces pièces en bois peint, parfois de grandes dimensions, qui maintenant s’installent avec les tableaux. Le travail change d’échelle et c’est l’espace de l’exposition qui devient le thème de l’installation, comme une grande nature morte.

Après la Kunsthalle de Vienne, elle a exposé en 2017 à l’ICA de Philadelphie et au Camden Arts Center à Londres, en 2021 et 2022 au MACRO à Rome ainsi qu’au Mrac Languedoc-Roussillon à Sérignan, deux expositions organisées par Luca Lo Pinto, également en 2022 à la Villa Savoye à Poissy, et en 2023 à la Kunsthall Aarhus au Danemark.

Son travail est représenté par différentes galeries : Apalazzo à Brescia, Pace à Londres, Yvon Lambert à Paris, Greta Meert à Bruxelles, Anton Kern à New York et récemment Kerlin Gallery à Dublin.

En parallèle avec son travail de peintre, elle a aussi quelques autres collaborations, en particulier avec Mutina dans le domaine de la céramique.

“Arrangements 1993—2023” de Nathalie du Pasquier - © Villa Noailles Hyères

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