Kate Fichard, Flora Fixy & Julia Dessirier

« Quand je ne porte pas mes appareils auditifs, j’imagine que ma perception du son est similaire à la vôtre lorsque vous êtes sous l’eau ». Cette sensation, que Kate Fichard décrit à Julia Dessirier et Flora Fixy pour évoquer sa surdité, constitue le concept fondateur de leur nouvelle collection. Lauréates du Grand Prix du jury Accessoires de mode Swarovski 2018 avec des bijoux pour appareils auditifs, la photographe et les designers du studio FandD approfondissent depuis un an leur travail d’exploration du silence, particulièrement celui régnant en milieu aquatique. Loin des notions d’absence ou de vide qu’on lui prête habituellement, elles considèrent le silence comme une substance tangible, aérienne et délicate, féconde pour les sens et l’imagination.
Leur collection nous plonge au cœur d’une bulle acoustique où se modifient les règles de
la perception. Dans ce monde en suspens aux allures sous-marines, les formes se distordent, la lumière se réfracte, les mouvements s’assouplissent. Les huit pièces qui la composent — accessoires aux typologies inclassables — apparaissent comme des créatures légères et miroitantes aux trajectoires amples et gracieuses. Les plissés ondulent comme des rides à la surface de l’eau. Tombant en drapés translucides, ils dessinent de délicates enveloppes qui rappellent l’immatérialité des méduses. Les perles de la capuche ruissellent en gouttelettes sur les contours du visage. Les métaux brillants associés à la résine opalescente des bijoux font surgir les rayons d’une lumière irisée. On croirait des écailles de poissons. Puis on s’enfonce encore : enrobés
par la coiffe feutrée, nous sentons le milieu aqueux nous envelopper dans un doux engourdissement.
Le temps se dilate. La chaîne et les bouchons flottent, en apesanteur. Sous les bords de la visière, les teintes de bleu s’obscurcissent et la lumière s’atténue. Comme un écho aux espèces maritimes des profondeurs, les tissus réfléchissants des gants émettent quelques touches lumineuses.
Sollicitant l’ouïe autant que le toucher et la vision, cette immersion dans le silence est peut- être avant tout une exploration du corps et de ses sensations. Les jeux de transparence, les textures lisses et veloutées, les teintes organiques sont autant de moyens d’interroger l’enveloppe corporelle. Une enveloppe ténue, frontière plus ou moins perméable, à la fois zone de distance et point de contact avec l’environnement.
Leur précédente collection associait la technologie d’appareils auditifs à la dimension sensible et esthétique des bijoux. Cette année, leur collaboration avec les Métiers d’art de Chanel s’inscrit dans un processus analogue. En mêlant la conception technologique au travail artisanal des différentes maisons elles développent
un vocabulaire unique aux frontières de formes hybrides. De cette rencontre entre l’ultra-précision des courbes calculées par algorithmes et les savoir-faire d’artisans naît un équilibre remarquable entre l’absolu et l’irrégulier, le géométrique et l’organique, le rationnel et le fragile.

PACÔME HENRY