Jonathan Anderson
I Curate
Marque culturelle et marque provocatrice : c’est ainsi que Jonathan Anderson décrit respectivement Loewe et JW Anderson, deux maisons de couture au sein desquelles il exerce en tant que directeur artistique (il est également le fondateur de JW).
Pour la première fois, les anciennes collections de ses deux marques sont réunies et présentées à Hyères pour célébrer les temps forts de sa carrière. Le terme de commissaire serait pourtant plus adéquat pour décrire la façon dont Anderson procède. En effet, bien qu’il ait élaboré une grammaire du design singulière, d’une élégance abstraite, criblée de ruptures et intrinsèquement – parfois aussi avec provocation – hermétique à toute désignation de genre, Anderson est commissaire avant d’être designer. C’est une question de mentalité.
Finalement, une marque se définit aussi bien par les produits qu’elle crée que par les activités qu’elle promeut. Aux yeux d’Anderson, ces activités sont intimement liées aux mondes de l’art, de l’artisanat et de la culture. Elles n’ont pas nécessairement d’influence directe sur les chiffres et les ventes, mais elles confèrent, à l’identité comme à l’attractivité, structure et profondeur. Ce, en promouvant des valeurs très spécifiques fondées sur ce que l’on peut, au sens large, uniquement décrire comme le goût. Le goût d’Anderson est tout autant cérébral qu’enjoué. Il aime les frictions, les chocs, les contrastes qu’il concilie de manières obliques. Probablement en tant que premier commissaire en design — il a été commissaire de l’exposition « Disobedient Bodies » présentée au Hepworth Wakefield à Wakefield en 2017 — Jonathan Anderson radicalise les missions du directeur artistique. Si la direction artistique renvoie à une stratégie d’image de marque se déployant sous diverses formes — défilés de mode, campagnes de presse, événements ponctuels, publicités — qui participent à offrir au public une expérience de marque totale, le design en tant que commissariat jouit quant à lui de la gratuité spontanée propre au geste artistique, lequel échappe généralement à toute fin commerciale immédiate.
En quelque sorte, le statut de la marque s’en trouve ainsi élevé.
La mode, à travers le regard du commissaire designer, n’entreprend pas de collaboration avec l’art mais en imprègne sa propre identité, donnant ainsi lieu à une mutation génétique perpétuelle. Cela se manifeste sans conteste chez JW Anderson comme chez Loewe, mais de façons différentes. Tandis que Loewe garde une touche de sensualité méditerranéenne avec un accent porté sur les propriétés tactiles de l’artisanat, JW s’oriente vers
des contrastes prononcés avec brio. Dans les deux cas, Jonathan Anderson procède selon une précision relevant presque de l’ingénierie, en privilégiant le collage de façon à réunir un ensemble d’éléments disparates en un tout prismatique incluant des projets photographiques, l’édition de fanzines, la création d’objets ou même simplement des sensations. Anderson explore l’artisanat à sa façon, en particulier chez Loewe, maison réputée pour sa maîtrise de l’art du cuir. Le fait main, ailleurs érigé à la gloire du passé dans un élan de nostalgie ou en hommage à la tradition, devient dans les mains d’Anderson un outil au service du progrès. Si bien qu’en 2016, Anderson a fondé le LOEWE Foundation Craft Prize, le premier prix consacré à l’artisanat contemporain.
L’ouverture sur les modes d’expression les plus variés est une autre des qualités essentielles du commissaire et Jonathan Anderson fait montre d’une curiosité insatiable envers toutes les formes d’expression. Au fond de lui, même dans ce qu’il a de plus abstrait, Anderson demeure un classiciste : son travail fait preuve d’équilibre et d’élégance, lesquels marquent aussi sa signature, de concert avec la culture.
Angelo Flaccavento
Photographie : Luc Bertrand