L’effet du logis, par Antoine Moulinard

Roches Curel, villa Noailles

Antoine Moulinard se consacre à la céramique, corps et âme. Un médium longtemps minoré par le grand Art. Chérissant l’idée de se construire un safe space, il s’est promis que,
plus tard, il vivra dans un palais, idéal selon ses critères, pensé et conçu par lui.
J’ai toujours été fascinée par les artistes dont l’ambition déborde les cadres de l’œuvre habituelle, individuée. Que ce soient les maisons Picassiette, près de Chartres, ou encore celles du Bloomsbery group, à Charleston en Angleterre.

S’inventer son intérieur. Le façonner à son image. Intervenir dans le réel. Le transformer. Et non se résoudre à accepter les normes établies par d’autres, en se contentant de le décorer simplement ça et là. Il y a de l’utopie politique dans ces entreprises ambitieuses.
À l’été 2023, il est en résidence à la villa Noailles à Hyères, où le design contemporain est mis à l’honneur chaque année : sa table, ses tabourets, son sofa et sa cheminée, mais aussi son attirance pour les costumes et le travestissement se lovent organiquement dans ce contexte ; de plus, son exposition va coïncider avec le festival de mode et le centenaire de la villa où les Noailles, ce couple hyper fantaisiste, aimaient faire la fête et se déguiser avec leurs amis.

Dans la maison du parc, vacante depuis peu, et avec la peintre Élisabeth Leyshon, iels ont réalisés/é une fresque all over, aux allures de papier peint presque bourgeois bien que DIY, comme écrin pour une installation de céramiques excentriques, s’assumant dans toute leur fierté hand made. Moulinard peut y déployer à l’envi son esthétique proliférante et ses références, pour la plupart, hyper reconnaissables : il est un érudit de la culture populaire et de la contre-culture. Mais son érudition n’exclut personne : des coquillages à la Vallauris, version rainbow ; un cowboy, un saint Sébastien : deux icônes gay, mais pas seulement; Bob l’éponge, héros à la masculinité déconstruite ; un yéti hirsute ; des dessins évoquant Keith Haring ; les figures de la sorcière, du vampire, du loup garou, du diable : autant de désaxés, sous forme de poupées mi-drag, mi-folkloriques mais aussi d’ornements queer, renouant avec des versions antérieures, bien moins binaires et moralisatrices que dans les Contes de Perrault ou de Disney. Dans ses installations, il insère aussi des bibelots chinés aux puces, des dauphins en verre ou des nains de jardin, qui se moquent allègrement du bon goût.

Les formes savamment agencées par Moulinard ont des finitions bien à elles. Ne pas se méprendre néanmoins : le style sloppy (l’art du négligé) ou le gloopsy (cet émail qui dégouline) impliquent une grande virtuosité technique, mais de celles qui ne crânent pas. Moulinard cherche la perfection dans l’imperfection, pour mieux réintroduire le plaisir, jouissif, des corps et des matières, dans toute leur diversité, leur hétérogénéité. Car in fine, c’est bien de cela dont il s’agit.

Texte par Anne Dressen

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