Vessel, par Luis Alberto Rodriguez

Squash, villa Noailles

L’œuvre de l’artiste et photographe Luis Alberto Rodriguez s’intéresse au corps en tant que réceptacle spirituel et physique. Il appréhende le corps comme une sorte d’archive, de centre d’expérience et de connaissance incarné par un moi corporel traversant des états de transcendance et de renoncement, de plénitude et de vide, d’autonomie et d’interdépendance. Cette exposition puise dans deux disciplines à première vue divergentes, et pourtant interconnectées : la photographie d’art et la photographie de mode. La connexion fondamentale dans l’œuvre de Luis Alberto Rodriguez réside cependant dans le discours du corps occupant l’espace métaphysique et physique, tantôt en harmonie, tantôt en conflit avec lui-même.

Le corps humain est la manifestation physique de divers états psychiques et métaphysiques de l’être, se faisant souvent le champ de bataille de la politique et de la culture, du contrôle et de la libération, en jeu, au travail, et dans divers états de mouvement et d’inertie. Le corps devient le lieu de ces tensions. Les états liminaires de nos êtres se manifestent dans ces corps. Le corps peut pourtant être le lieu de transgression et d’autonomie, d’affirmation de soi et de résistance. Il peut servir à exercer une domination et devenir une sorte d’armure que nous mobilisons pour faire face aux dynamiques d’opposition qui échappent parfois à notre contrôle ou qui tentent de nous priver de notre liberté. La représentation par Rodriguez d’une pluralité de corps, tous beaux dans leurs nuances et leurs parfaites imperfections, est en elle-même un acte de résistance, une affirmation de la suprématie de l’incarnation et de l’expérience.

Les photographies de mode de Luis Alberto Rodriguez donnent à voir l’incarnation des tensions entre la forme et l’espace. La mode est un instrument permettant de forger l’identité, la malléabilité du corps et les déguisements que nous revêtons pour nous présenter et nous représenter. Enfiler des habits, porter des vêtements, c’est habiter nos identités, tantôt sérieuses, tantôt enjouées. Il y a dans ces photographies une beauté particulière qui tient à l’attention portée aux lignes et au drapé de chaque vêtement, à la manière dont ils mettent en valeur le corps qui les porte, et à la façon dont chaque personne teinte le vêtement de son propre caractère. Il s’agit d’un jeu entre le corps et la matière,
entre le mouvement et l’enfermement.

Les individus, dont les corps photographiés forment la série O , sont montrés dans différents états d’être, en suspension et en liberté, cédant à des forces tout à la fois hors de leur contrôle et sous leur contrôle. Une attention particulière est accordée aux détails et aux nuances : une tension musculaire, une tournure du pied, les gestes des mains, une légère inclinaison de la tête, l’instabilité d’un corps comme suspendu dans l’espace… Chacun de ces gestes traduit et donne un sens aux émotions et aux tensions contenues sous la peau, montre comment l’invisible ou l’indicible peut se manifester dans les mouvements, parfois inconscients, du corps. La pression et l’attraction de la gravité, voire peut-être une force supérieure et hors de notre contrôle, peuvent nous pousser vers un autre état d’être. À mesure qu’une conscience plus aiguë du corps se développe, un moi nouveau et différent peut émerger, doté d’une plus grande compréhension de notre vie intérieure et de nos pensées subconscientes.

Les deux projets en appellent au potentiel et aux capacités du corps, à la forme que nous adoptons pour nous rapprocher de notre moi authentique. Ils nous incitent à appréhender le corps comme un espace de pouvoir et d’émancipation, de conscience de soi et d’expérience extatique.

Commissariat et texte de Song Tae Chong Ph.D.
Note de la commissaire : O, de Luis Alberto Rodriguez, a été publié sous forme de monographie en 2023 chez les éditions Loose Joints, et en est actuellement à sa première édition.

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