Ineke Hans, Frugal & Fun

Ineke Hans, Frugal & Fun - © Villa Noailles Hyères

Présidente du jury et invitée d’honneur

Au cours de mes années de carrière dans le design, j’ai abordé celui-ci sous de nombreuses approches. J’ai obtenu mon master en Design de mobilier au Royal College of Arts à Londres en 1995 mais comme pour beaucoup de personnes de ma génération – aussi pour beaucoup de jeunes designers aujourd’hui – l’accès aux entreprises et aux clients ne fut pas instantané. J’ai commencé en tant que designer indépendante, présentant mon travail dans des lieux miteux lors d’événements à Londres et à Milan. Et j’ai fini par vendre et produire des meubles et des objets que j’avais présentés avec mon propre atelier, actuellement vendus et produits par le studio. Le fait de montrer ce travail personnel m’a bel et bien permis d’accéder à cette industrie et aux éditeurs, et après un certain nombre d’années, j’ai travaillé de plus en plus sur commande, à l’échelle locale comme internationale. Cela a toujours été très varié: productions industrielles en série, fabrication à la machine, production numérique, produits artisanaux et faits main, projets de mobilier pour des contrats et des marchés pour les particuliers, projets pour des intérieurs, des expositions, l’espace public, ou projets communautaires pour des organismes et des institutions. Chaque projet est un voyage à part entière, amenant ses propres questions : quels sont le sujet et le contexte à traiter et à quelles questions faut- il répondre? Quels sont les puzzles à résoudre ? Les matériaux et les techniques sont souvent le point de départ, ou bien un mot, un récit, historique ou non, et souvent aussi un comportement humain. Cela aboutit toujours à diverses solutions. Des solutions tantôt pragmatiques et fonctionnelles, tantôt plus libres et ouvertes à l’interprétation, mais je tente toujours de me rattacher à quelque chose qui nous renvoie à notre comportement ou à notre mode de vie. Pendant longtemps j’ai eu l’impression que ma polyvalence était bizarre, voire inappropriée, que j’étais trop touche-à-tout et que je devais me spécialiser. De 2010 à 2013 j’ai participé à un projet au nord du Canada, sur l’île Fogo : j’ai travaillé avec des femmes et des hommes de l’île sur du mobilier qu’ils produisaient eux - mêmes pour l’entreprise Fogo Island Inn. Le fait de travailler avec des hommes, qui avaient été pêcheurs et avaient construit des bateaux et avec des femmes qui se réunissaient tous les mardis soir pour faire de la courtepointe, du crochet, du tricot, se partager les nouvelles et les ragots de l’île s’est révélé bien plus satisfaisant que de simplement travailler sur des meubles et des produits qui finissaient souvent dans des catalogues et des présentations a lieu d’être vendus. Le travail que j’ai effectué pour l’île Fogo a eu des retombées plus nettes et gratifiantes, qui m’ont amenée à beaucoup réfléchir sur le système, les stratégies et les structures auxquels le domaine du design est lié. En 2015, je suis retournée à Londres pour lancer le «London Salons». Au fil de conversations autour de sujets liés au mobilier, du studio de l’East London jusqu’au V&A Museum, impliquant designers, fabricants, journalistes, commerçants, conservateurs et autres acteurs du design, j’ai exploré «le futur du design de mobilier et l’évolution du rôle du designer», aboutissant au manifeste « Explore and Act». Notre monde évolue rapidement et avec lui le rôle du designer. Mais comment travailler dans un monde d’abondance qui réclame moins de produits, moins de nouveautés, moins de plus ? Que crée-t-on en tant que designer dans ce mondequi appelle à créer du sens, de nouvelles stratégies et de nouveaux rôles? Selon moi, le rôle du designer s’apparente de plus en plus à celui d’un hybride œuvrant dans une multitude de contextes. Chaque contexte de travail entraîne des répercussions sociales, sur le plan mondial ou local, et implique de proposer des produits, des projets et des solutions intelligentes, s’adaptant à toutes sortes de réalités. Pour mener cela à bien, la connaissance du contexte est indispensable, alliée à une compréhension des stratégies, des politiques et de l’histoire propres à ce contexte. Pour moi, le design peut être source de fun, mais le designer n’est pas un décorateur et ne s’implique plus dans le design uniquement : il s’investit essentiellement et activement dans les processus et les stratégies de design pour concevoir des produits et des projets marquants. Dans ce contexte, être une touche-à-tout s’est révélé très utile. Le fait d’être à la fois designer et productrice, et d’avoir constaté les difficultés des différents corps de métier, les entreprises artisanales et industrielles, les commerçants, les communautés, les galeries et les utilisateurs au fil des ans, me permet de combiner différentes réalités et de résoudre de complexes puzzles holistiques et de mettre en place de nouvelles stratégies de design. C’est aujourd’hui ce que je préfère. Dans le cadre de Design Parade Hyères 2022, j’expose à la « piscine » de petits ensembles d’œuvres qui ont vu le jour à différents stades de ma carrière. Ils sont accompagnés des frugal films, des animations révélant une partie de mon travail que le résultat final ne laisse pas toujours paraître : l’utilisation efficace des matériaux. Dans la « salle de squash» est exposé REX. Tout comme dans les frugal films, la notion de modération y joue également un rôle. Il ne s’agit pas seulement de dessiner une chaise, mais, derrière, des enjeux stratégiques visant à réduire les déchets et les matériaux, et aussi de rationaliser la réutilisation de précieuses des ressources. REX est la première chaise hollandaise consignée. Comme designer, j’ai grandement participé à la méthode et à la communication. Frugal et fun. Aujourd’hui, c’est ce que j’apprécie le plus.

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