“Data vases” par Claire Pondard & Léa Pereyre

Comme le savoir-faire préservé et transmis par les artisans de la Manufacture de Sèvres, les souvenirs et les expériences individuels sont un héritage qui circule de proche en proche. Le processus d’assimilation invisible de ces techniques représente l’élément qui rend possible la conception d’objets dont la valeur dépasse la matière qui
les compose.

De la même manière, la mémoire se crée et s’échange par l’intermédiaire d’expériences partagées. Pourtant, la majorité des souvenirs personnels actuels sont enregistrés sous forme de données numériques. Les souvenirs vivent donc une vie plus volatile que les savoir-faire artisanaux, puisque les supports qui les préservent sont généralement des objets presque vulgaires, qui ne renferment de poétiques que les histoires dont ils sont infusés. Bien que cette technologie permette de sauvegarder une quantité jusqu’ici inimaginable d’informations et de détails sur les expériences vécues, la subjectivité essentielle de leur dépositaire devient difficile à saisir dans la masse de matériel. Les disques durs se dissimulent et se transmettent rarement avec fierté.

Les Data Vases, nés de la collaboration de Léa Pereyre, Claire Pondard et la Manufacture de Sèvres, invitent à retrouver la matérialité des traces de notre vie et à les léguer à nos descendants. C’est ainsi qu’ont été imaginés les éléments décoratifs d’une série de vases, issus du répertoire de la Manufacture, produits dans des contextes singuliers. Une couche uniforme d’un bleu de Sèvres intemporel et un code QR en or recouvrent la surface de ces récipients. À l’image des amphores grecques illustrées de récits – tantôt historiques, légendaires ou mythologiques, tantôt intimes –, ces contenants manifestent les souvenirs dont ils se remplissent par l’intention d’y stocker des savoirs importants. Les trois vases exposés ici sont nourris des récits sur le projet dans lequel ils s’inscrivent, dans lesquels les spectateurs sont invités à pénétrer.

Ces vases, destinés à être préservés et légués, témoignent de la valeur inestimable des informations qu’elles renferment et des données personnelles plus généralement. Les souvenirs, quels que soient leur support – photographies, vidéos, textes et musique –, se transforment en biens personnels, familiaux et patrimoniaux. D’autant plus que la fragilité de la porcelaine souligne à quel point son contenu est vulnérable. Briser le vase épandrait ce contenu, accumulé avec passion au fil d’une vie. Aussi, l’interaction possible avec ces vases, autant le code à scanner que les plateformes auxquels il renvoie – les plus répandues en ce moment –, fait de ces objets des manifestes sur
notre rapport à nos données, puisque leur durabilité est incertaine. Sans offrir de solution, les vases contribuent aux débats fondamentaux sur la pérennité des savoirs collectifs. Ce contenu, fruit d’un tri dont la nature consiste à servir l’image de leur sujet, questionne la valeur morale avec laquelle les archives numériques sont pensées. Transmis par héritage, ces vases permettront néanmoins à cette mémoire de vivre en contact du patrimoine immatériel qu’incarne leur contenant.

Auguste Bertholet

You are using an outdated browser.
Please upgrade your browser to improve your experience.