Fabien Cappello, On se rejoint à la villa !

L’année dernière, par un beau matin de juillet, Fabien Cappello ouvre le journal local Mural, publié dans sa ville d’adoption, Guadalajara, au Mexique, et tombe sur un article consacré, comme par hasard, à une peinture murale. Cappello ne pense pas grand-chose de l’image en elle-même, un imposant évêque bénissant les monuments de la ville au XVIIIe siècle, mais le raffinement de la mosaïque est incontournable. L’atelier qui a réalisé cette mosaïque, le Taller de Mosáico Artístico, occupe un tout petit espace qui se trouve à quelques pas du studio de Cappello. Peu de temps après, ils collaborent à une série de motifs à plat aux couleurs de pierres précieuses, à mi-chemin entre Byzance et Burle Marx : des champs ondulants de cercles et de vagues, des fantaisies géométriques ; un tissage lâche de rose saumon, de corail, d’ocre et de bleu marine répandus sur un champ bleu turquoise, tel un filet de pêche distendu dans l’eau.
Ce dernier projet fut d’abord conçu par Cappello comme un textile. Les artisans du Taller de Mosáico Artístico l’ont transformé en un paysage en dur qui pourrait, à terme, redevenir un textile, tout en conservant la pixellisation archaïque engendrée par les carreaux de céramique. Ici, en France, à la villa Noailles, Cappello et son équipe ont incorporé ces mosaïques (emballées à plat et expédiées de Guadalajara) dans de simples cadres en pin pour en faire des tables. Fortes de leur utilité soudaine mais certaine, c’est comme si les mosaïques avaient été emportées par surprise, ou comme si elles avaient été capturées lors d’un arrêt sur image cinématographique au moment – de ce qui allait leur advenir ce qui pourrait être une définition, aussi juste que tout autre, de l’approche du design de Cappello.
Depuis la création de son studio à Londres en 2010, et surtout depuis sa relocalisation au Mexique en 2016, Cappello recourt au design pour comprendre les systèmes de production et d’échange qui fleurissent dans les interstices entre l’industrie et l’artisanat. Plutôt que de travailler avec des tisserands ou des céramistes traditionnels, figures emblématiques de la construction mythique de l’identité matérielle mexicaine, Cappello se tourne vers les entreprises artisanales qui constituent le socle d’innombrables micro-économies urbaines, et vers des applications inattendues de matériaux si quotidiens que la plupart des gens ne les incluent pas dans le discours sur le « design ».
Cela peut se traduire par une collaboration avec un atelier familial de ferblanterie à Guadalajara pour fabriquer des vases et des abat-jour à l’aide des mêmes outils rudimentaires que ceux qu’ils utilisent habituellement pour les articles ménagers, tels que les moules à gâteaux, les gobelets gradués et les arrosoirs. Il peut tout aussi bien s’agir d’imaginer des motifs à plat aux couleurs acidulées à imprimer sur du velours de polyester résistant produit dans la ville industrielle de Lerma par une entreprise spécialisée, entre autres, dans le revêtement de sièges d’autobus. Ici, vous les verrez sur des canapés et des fauteuils, mais ils pourraient tout aussi bien convenir à un aéroport ou à une salle d’attente d’hôpital. Les objets de Cappello expriment les situations qui les créent, mais ils sont aussi les situations qu’ils créent.
Quelques exemples : les bancs de la terrasse, avec leurs jardinières et leurs sièges en toile imperméable rayée, épousent les proportions et les formes des emblématiques chaises longues de l’architecte de la villa Noailles, Robert Mallet-Stevens, et la structure élémentaire des bancs de jardin de Cappello à Guadalajara. Il a utilisé ces prototypes reproductibles pour aménager des extensions de trottoir sur des places de parking, chacune constituant une micro-occupation qui transforme un espace privé en un espace public (peut-être auront- elles une seconde vie ici, à Hyères ?). Chaque motif de la rafale de papiers peints tourbillonnant sur les murs de la salle de squash bondit d’une autre surface – fibre de verre, céramique ou tissu – comme s’il était impatient de voir ce que l’on pourrait ressentir en vivant dans une autre dimension, depuis un mur plutôt que depuis un siège ou un pot de fleurs. Les meubles disséminés librement au-dessus de la piscine de la villa sont tous d’occasion en partie donnés ou prêtés par le personnel de la villa, puis recouverts des tissus de Cappello. Ce qui leur adviendra lorsque l’exposition prendra fin, personne ne le sait.
Les objets que vous voyez et avec lesquels vous interagissez aujourd’hui ne sont pas des points ou des alinéas qui concluent une phrase bien construite. Ce sont des points d’interrogation et des points-virgules, qui nous demandent ce que nous leur réservons pour la suite, qui relient des idées et des espaces qui pourraient autrement sembler distincts. Nombre d’entre eux combinent des éléments fabriqués à 10 000 km de chez vous avec des composants assemblés juste là où vous vous trouvez. Il ne s’agit pas d’objets de collection, il ne s’agit pas d’une exposition. Il s’agit d’un salon collectif, d’un lieu où l’on s’assoit, où l’on parle et où l’on réfléchit. Les objets sont les catalyseurs. Mettez-vous en situation et voyez où cela vous mène.
Fabien, merci de partager cet espace avec nous.

Pourquoi Guadalajara ?

Guadalajara est entrée dans ma vie en 2016, lorsque j’y ai donné des cours de design industriel pendant un semestre. En un sens, c’est là que j’ai appris à connaître le Mexique. Tout d’abord, je dirais que c’est un endroit qui vous permet de vous concentrer ; c’est tout de même une grande ville, mais qui se meut à un rythme plus lent. Puis, la ville présente une autre facette, formelle et spatiale : la richesse du mouvement moderne, la façon dont les gens utilisent l’espace public, ces magnifiques paysages urbains remplis de jeunesse. Il y a tant de moments que j’apprécie dans cette ville, mais les plus importants sont probablement liés au fait qu’il s’agit toujours d’une ville et d’une région de production, et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de villes dans le monde qui possèdent encore cette caractéristique. C’est une ville qui conserve des techniques préhispaniques de sculpture sur pierre et de faïence, de grandes industries et entre ces deux pôles, d’innombrables ateliers. À chaque coin de rue, vous trouverez un métallurgiste ou un charpentier, et cela s’est avéré inestimable pour moi, pour mon travail et pour la formidable scène créative de cette ville.

Comment votre pratique du design influence-t-elle ou participe-t-elle aux économies et aux régions voisines ?

Pour répondre à cette question, il est important de mentionner les personnes et les lieux spécifiques aux abords de mon studio. Historiquement, le design industriel a été, en quelque sorte, très dissocié des gens, et c’est un modèle que je souhaite rompre. Les objets m’intéressent moins que leur capacité à générer des moments, et cela inclut les moments, les lieux et, surtout, les personnes qui les fabriquent. Aussi, je m’intéresse continuellement à l’espace public, ou du moins à l’espace partagé. Il s’agit de ce que l’on peut faire ici et maintenant, à l’aide des outils et des matériaux existants. Mon travail n’est pas abstrait ou conceptuel, il porte sur le quotidien et l’ordinaire. Dans le monde du design, tant d’éléments sont spéculatifs ou existent en dehors de la réalité qui les crée et qu’ils créent.
Selon moi, la notion de « local » est plus une méthodologie qu’une idéologie – ce n’est pas un manifeste, c’est une pratique quotidienne – et le travail avec l’hojalata est un très bon exemple de ce que j’entends par là et de la manière dont j’essaie de travailler. Tout projet commence par une phase de recherche et d’observation. Pour l’hojalata, nous avons commencé par cartographier les ateliers et nous avons pris conscience que Guadalajara est en réalité un centre de production très important. Nous avons alors pu répertorier et analyser les différents outils fabriqués par ces ateliers et la diversité de leurs usages. Beaucoup de gens parlent d’« inspiration », du fait d’être « inspiré » par tel créateur ou tel style, mais ce n’est pas quelque chose qui me correspond. J’essaie plutôt de rappeler au public que ces techniques existent, de montrer qu’elles fonctionnent, qu’elles ont de la valeur en tant que telles, bien qu’elles soient souvent négligées.
Encore une fois, il s’agit de travailler avec ce qui existe déjà, afin d’aborder les formes et les usages contemporains. Cette méthodologie vous amène naturellement à dépasser le simple objectif de produire des objets. Par exemple, je ne commence à dessiner que lorsque je sais quels outils, dans quel atelier et, la plupart du temps, qui va réaliser l’objet final. Cela vaut pour les pièces d’hojalata comme pour l’ensemble de mon travail. Je ne conçois pas un objet tant que je ne comprends pas tout à fait de quelles ressources je dispose. À mon sens, le rôle du designer consiste à définir et à établir une méthodologie. L’objet est ce qui naît de l’outil lorsqu’il est employé dans un contexte spécifique. Je n’entre pas dans le studio en pensant : « Aujourd’hui, je vais dessiner un objet », mais en me disant : « Aujourd’hui, je vais comprendre un peu mieux quelque chose. »

En quoi cette exposition s’inscrit-elle dans le contexte de la villa Noailles, tant du point de vue du bâtiment que de son histoire, de son présent et de son avenir ?

Lorsque j’ai élaboré ce projet, il était très important pour moi de ne pas envoyer d’exposition à la villa. En tant que studio, nous devions déterminer ce que nous allions faire ici à Guadalajara, ce que nous allions faire là-bas en France avec les ressources et l’équipe de la villa Noailles, mais aussi avec leurs partenaires. Je voulais être le plus précis possible, et cela impliquait de comprendre les possibilités en matière de logistique. Avec mon équipe, nous voulions que ce contraste, ce voyage, soit lisible dans l’espace que nous allions créer. L’exposition devait manifestement être conçue en fonction des ressources dont nous disposions. Dès que nous le pouvions, au lieu d’envoyer des objets finis, nous envoyions des matériaux que je concevais, tels que des surfaces en mosaïque, des tissus. Je voulais également m’assurer qu’à aucun moment de l’exposition il n’y aurait de « design d’exposition » en tant que tel. Je voulais envisager l’ensemble du projet comme la création d’un espace public au sein d’une institution culturelle, en utilisant les ressources de cette institution.
Dans l’espace de la piscine, nous avons conçu un véritable salon fonctionnel en utilisant uniquement des meubles. Il ne s’agit en aucun cas d’un projet abstrait. Ces objets vivent réellement ensemble, ils ont un usage commun, ils existent les uns par rapport aux autres. Et le public est invité à utiliser cet espace, pas seulement à le traverser. Nous voulions récréer la façon dont on aurait vécu dans cet espace à l’origine, conformément aux images d’archives qui l’illustrent très clairement. C’était un lieu consacré à la santé, au sport et à la détente, certes, mais aussi aux visites et aux rencontres, fort de ces salons où d’interminables et passionnantes conversations ont dû se succéder. J’ai souhaité recréer ces salons. Seulement cette fois, tout le monde est invité.
Dans la salle de squash, nous avons créé ce que je conçois comme une « archive de design » de motifs d’aplat que nous avons employés pour différents projets au cours des cinq dernières années. Les motifs ont été agrandis à l’échelle et appliqués sur les murs. C’est aussi un espace fonctionnel : il y a des sièges, qui sont un prolongement de l’aplat qui recouvre le sol – mais je voulais aussi qu’il donne une impression d’ouverture et qu’il suggère une multitude d’usages. C’est un endroit où l’on peut se reposer et profiter de l’air frais dans le seul espace climatisé du parcours. J’apprécie qu’il s’agisse d’un lieu de repos qui offre aussi une forte intensité visuelle. Je pense que nos yeux peuvent absorber beaucoup plus d’informations que nous ne le pensons. On peut apprendre beaucoup de ce genre de stimulation constante ; les couleurs et les motifs ne sont pas des distractions. Lorsque je parle d’« intensité » visuelle, je pense en particulier aux espaces urbains du Mexique et à tout ce que nous pouvons apprendre à y lire, à la manière dont les différents motifs et couleurs transmettent l’information. Il s’agit là d’un aspect fonctionnel – il est fonctionnel d’utiliser la couleur ou les dessins de surface pour définir un objet ou lui conférer une identité. On décrit un espace comme une « pièce jaune », mais cette couleur n’est que la couche la plus fine sur le matériau solide des murs. Et pourtant, elle définit l’espace.
Les couleurs rayonnent. Peut-être en va-t-il de même pour les usages que l’on en fait ? Peut-être que lorsque les sièges émergent du sol, en tant que partie du sol et de la surface du sol, la pièce entière devient un banc, de la même manière qu’elle peut devenir jaune, verte ou rouge. À nouveau, les revêtements de surface ne sont que du papier, ils sont modifiables à l’infini, et pourtant ils définissent l’espace tout entier. Le mobilier lui aussi peut s’adapter à différents espaces et en proposer différents usages.

Comment la sélection des designers ayant participé au concours exprime-t-elle ces idées plus larges ? Qu’est-ce que vous et le jury recherchiez dans la sélection des projets à présenter ?

En 2005, à l’âge de 21 ans, j’ai été l’un des dix jeunes designers sélectionnés pour participer à la première édition de Design Parade. C’est une expérience qui m’est familière, je sais comment fonctionne la participation à un concours. J’ai proposé aux membres du jury de considérer ces projets comme des choses dont nous pourrions apprendre et, à partir de là, d’essayer de déterminer les pratiques dont le développement futur nous enthousiasmerait le plus. Il était important que nous ne nous contentions pas de juger les projets, mais que nous soyons réellement attentifs à ce que ces 300 jeunes designers proposent collectivement. Ce qu’ils suggèrent, ce sont en définitive des idées sur ce que peut être l’avenir du design ; notre travail consistait à identifier les valeurs et les intérêts communs qui émergeaient de toutes ces propositions prises dans leur ensemble. Par exemple, beaucoup d’entre eux utilisent leurs projets pour redéfinir le rôle du designer. D’autres réfléchissent aux façons d’appliquer le design à de nouvelles interprétations et à de nouveaux modes de production, et ce, pas nécessairement au sens technologique. Nous fûmes ravis de découvrir des designers qui se préoccupent autant de l’utilisateur, plutôt que de l’objet en tant qu’artefact.
Une fois ces catégories identifiées, nous avons tenté de sélectionner, dans chacune d’entre elles, le designer dont les solutions étaient les plus pointues, dont l’engagement envers l’idée et ses conséquences était le plus explicite et qui matérialisait ces thèmes de la manière la plus efficace. Je pense que nous avons choisi des designers qui, ensemble, peuvent définir ce paysage futur. La chose la plus précieuse que nous puissions faire ici est de mettre en lumière ces solutions non conventionnelles.
Michael Snyder

Fabien Cappello, On se rejoint à la villa ! - © Villa Noailles Hyères
Fabien Cappello, On se rejoint à la villa ! - © ©Camille Lemonnier, Villa Noailles Hyères

©Camille Lemonnier

Fabien Cappello, On se rejoint à la villa ! - © ©Camille Lemonnier, Villa Noailles Hyères

©Camille Lemonnier

Fabien Cappello, On se rejoint à la villa ! - © ©Camille Lemonnier, Villa Noailles Hyères

©Camille Lemonnier

Fabien Cappello, On se rejoint à la villa ! - © ©Camille Lemonnier, Villa Noailles Hyères

©Camille Lemonnier

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