Sara de Campos
le 28 juin 2019C’est d’abord la qualité du regard porté sur les choses qui l’entourent et la justesse de son appréciation du sensible qui frappent chez la designer Sara de Campos. Aucune concession n’est accordée à la logique consumériste des objets, sa démarche est plutôt celle du scrutateur qui cherche à revenir sur l’essentiel de la fonction. Lorsque Sara de Campos conçoit une forme, elle s’intéresse avant toute chose aux origines de celle-ci pour questionner l’intelligence de l’objet. Pourquoi l’a-t-on créé originellement ? Avec quels gestes, quels outils et pour quels usages ? C’est ce retour aux sources qui lui évite de surproduire, qui lui permet de prendre part à une histoire de gestes et d’usages, apportant de la modernité à l’archaïque.
Pour son projet de vase au Cirva, elle décide de revenir à la forme « prototype » qu’elle imagine être le cylindre : la forme la plus radicale en adéquation avec sa fonction. Elle met l’accent sur les qualités intrinsèques du verre et ses réactions à la lumière. En travaillant de façon extrêmement subtile les rebords, les angles et la texture extérieure des vases, elle invente un paysage méditerranéen. Les couleurs choisies sont, d’une part, celles du miroitement de la mer et des effets d’ondes sur l’eau, et d’autre part, celles des couchers de soleil sur l’horizon marin, dans toutes les nuances de leurs dégradés. Les bords des vases soufflés, polis en pente douce, ainsi que les incisions gravées sur les épaisses parois, évoquent la géographie minérale des calanques. Pour les pâtes de verre, le paysage se déplace vers l’arrière-pays dessinant le creux d’une vallée entre les montagnes rocailleuses. Ce sont des contenants lourds et puissants, faits pour recevoir des fleurs du pourtour méditerranéen, des fleurs résistantes à la sécheresse et au vent.
L’expérience du verre pour Sara de Campos fait aussi partie du registre de l’essentiel. Elle le considère comme un matériau générique, un incontournable de la palette créative du designer contemporain. Mais comment l’aborder sans aucune connaissance technique ? Son projet élaboré de façon concomitante à celui de Sèvres – Cité de la céramique fait appel à la même philosophie de travail, une attitude d’écoute et d’observation des connaissances de l’autre afin de concevoir dans la plus grande justesse. C’est ainsi qu’en toute simplicité, Sara de Campos imagine pour Sèvres, cette manufacture historique des plus grands services de table des grandes cours et famille d’Europe, un service de table du quotidien, alliant beauté de la matière au minimalisme de la forme et du décor. Le régime méditerranéen, composé des aliments les plus naturels et les plus simples — l’olive, le pain, les fruits et le vin — l’inspire pour la conception d’une table où tous, famille et amis, peuvent se retrouver sans prétention ni décorum, dans la convivialité du moment. Ce moment où le repas, avec spontanéité, devient le véhicule de discussions véritables et parfois profondes, de bonnes et mauvaises nouvelles, des décisions qui jalonnent nos vies… Associé à ces considérations plutôt sociologiques, se trouve également pour la designer le souhait de veiller à une économie modeste et maîtrisée, adaptée à l’usage et à la destination journalière du service de table. Tout en conservant le souci du détail et l’esprit le plus contemporain, il s’agit donc à Sèvres de concevoir des pièces accessibles, fonctionnelles et belles. Ainsi, certains éléments sont empilables pour optimiser l’espace de rangement et faciliter la manipulation ; d’autres, comme le bol à fruits, se préoccupent de la conservation en prévoyant des reliefs qui permettent à l’air de passer entre les aliments. Une attention aux bords des carafes et des gobelets est aussi toute particulière afin d’éviter que l’huile ou le vin ne s’écoulent inutilement, améliorant l’aisance du geste et le plaisir de la dégustation.
Si l’on voulait résumer en peu de mots la substance du travail de Sara de Campos, nous pourrions tenter ceci : faire confiance à la main de l’artisan lui procure tranquillité et assurance pour explorer les chemins de l’innovation, risquer les traverses de l’échec et renouveler les techniques dans le dialogue et dans l’échange. Cette attitude, humble et généreuse, se comprend en cohérence avec les origines de Sara de Campos, née au Portugal. D’une famille de vignerons, le rapport à la terre, au paysage, aux savoir-faire et à l’épicurisme fait partie intégrante de son histoire et de son parcours. Formée à l’ECAL en Suisse, elle développe une exigence qui lui permet d’inscrire ses projets dans le sillon de l’industrie et de la production. Aujourd’hui, elle collabore avec le Cirva et Sèvres – Cité de la céramique grâce à la villa Noailles et au Grand Prix Design Parade qu’elle a obtenu en 2018. Ce sont autant de techniques et de matériaux nouveaux qui sèment un parcours à venir riche en collaborations et en explorations.
Isabelle Reiher
Directrice, Cirva Marseille