Marianna Ladreyt, Sous l’océan

De l’enfance à la mer, ne restent parfois que des sensations. Le sentiment de porter le monde sur son dos, un attirail de parade, à la monture sortie d’un bestiaire sans préjugés ni mauvaises intentions : dauphin, crocodile, dinosaure, orque, canard ou requin. Le rituel est gonflé, la mise à l’eau une conquête. Et contre la peau, par-delà cette couche qui protège du soleil, débute un corps-à-corps avec la matière : flotte, glisse et râpe. « Sous l’océan », il y aussi des peurs. Les abysses et leur gouffre incertain. C’est pour cela qu’on ne s’éloigne jamais trop loin du bord, qu’on s’accroche à la bouée.
Le monde, là-dessous, n’est peut-être pas si hostile. Il faudrait apprendre à le connaître, au moins le regarder avec des yeux simples, pour lui laisser une chance d’être. La vie y serait la première mesure, la couleur son étendard. Un paradis en exil, régénéré en fête, où tout se crée et se transforme, sanctuaire de l’heureuse fortune, peuplé de chimères adorables et de gentils monstres, de coraux rebondissants, d’algues lumineuses, où tout jaillit et s’expose. La chaleur s’y logerait dans chaque recoin, on y ferait même sa maison, au fond, le refuge bariolé des rejetés et des laissés-pour-compte, l’occasion futile d’habiter encore et autrement les profondeurs de l’infâme, les rêves qui durent pour mettre au défi l’abandon. Le jeu tiendrait de seule règle, l’insolence de vertu. Existerait enfin le club des vacances éternelles.
C’est ainsi que l’on pose des questions d’adulte avec des souvenirs d’enfant, pour recouvrir de preuves de vie les illusions d’un monde qui s’échappe et dérive.
Rémi Baille

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