Marion Mailaender, Résidence vue mer

Vous trouvez le titre un peu bateau? Vous vous dites que la mer est à moins de 300 mètres du lieu d’exposition et qu’une « résidence vue montagne » aurait été à priori un peu… comment dire… hors sujet ? Eh bien vous n’avez pas complètement tort, et sachez que Marion Mailaender en est bien consciente, d’ailleurs elle s’attendait à votre réaction.
Il faut dire que Marion a l’art du titre efficace, du genre qui vous plante un décor en trois mots, pas plus. C’est ainsi qu’elle parle de son travail. Pour s’en rendre compte il suffit de parcourir Internet quelques minutes, on y lit dès les premiers articles référencés “le fun et la fonction plutôt que la forme et la fonction” ou “less is more but too much is cool”.
Des formules qui m’ont un temps laissé croire que sa légèreté et sa drôlerie étaient surtout une manière de dissimuler une forme de timidité, et puis j’ai compris que timide elle l’était un peu mais pas plus que ça, et qu’en fait Marion avait tout simplement la délicatesse et l’élégance de ne jamais vouloir ennuyer l’autre, encore moins avec son travail.
On le sait, il faut toujours se méfier des raccourcis. Car en fait Marion n’est pas décontractée, elle est libre. Elle n’est pas juste drôle, elle a de l’esprit. Celui des gens extrêmement curieux, et elle a compris que seule une extrême rigueur pouvait lui permettre ensuite de s’amuser.
« Résidence vue mer » n’est donc pas qu’un titre drôle qui pourrait faire penser à une annonce immobilière, c’est aussi une manière de rappeler en toute discrétion une histoire collective, puis d’aborder des choses plus intimes qui lui sont chères et qui la guident dans sa manière de construire non sans audace chacun de ses projets d’architecture intérieure et de design depuis ses débuts.
Pour l’histoire collective, travelling arrière est un rapide résumé de l’heure où la France soignait ses blessures au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en lançant un vaste plan de reconstruction qui va considérablement modifier le paysage architectural en France. Les besoins sont immenses, il faut agir vite et pour le plus grand nombre. La ville verticale imaginée par Le Corbusier à travers sa Cité radieuse apparaît, et sans s’imposer elle donne le tempo : la verticalité sera devient de mise et la vie se fera désormais en collectivité - ou ne se fera pas. On promet à tous la modernité, avant de garantir une vie meilleure avec la mise en place des congés payés. Les Français vont prendre le littoral d’assaut. Ainsi de Nice à La Grande-Motte, une ligne en pointillés de résidences va peu à peu se dessiner, avec dès que possible la grande bleue pour seul horizon.
Pourquoi ce titre alors ? Parce que c’est ce cadre de vie à la verticale qui a bercé l’enfance de Marion à Marseille, où elle a grandi, s’amusant avec ses cousins dans les rues de la cité radieuse du Corbu lors de réunions de famille, ou dans les halls luxueux de résidences où vivaient certaines de ses copines. Ce sont précisément ces souvenirs heureux qu’elle a envie de raconter dans le cadre de la Design Parade Toulon, car c’est là qu’elle a pour habitude de puiser son inspiration.
Alors à ce stade, si vous vous interrogez toujours sur l’intérêt de ce titre, il ne vous reste plus qu’une solution pour comprendre. Poussez la porte en verre, allez-y, n’ayez pas peur et suivez le sol en paillasson malmené par le sable et le soleil, vous y croiserez certainement monsieur Marchioni, ce professeur de mathématiques dont la gaieté s’est dérobée à la retraite à peine entamée, ou monsieur et madame Martineaud, ses voisins du 3B. Si jamais personne ne vous répond à l’interphone, et que le store du gardien est baissé, patientez, Rose et Bettina ne devraient pas tarder à rentrer de la plage. Surtout n’hésitez pas à interrompre leurs pitreries, elles peuvent être sans fin. Dites leur que vous êtes venues visiter l’appartement du rez-de-chaussée, elles vous ouvriront, elles ont les clés.
Voilà, ça y est, vous êtes enfin rentré, alors détendez-vous un peu, et laissez vous guider par le lieu. Sur votre gauche, par la fenêtre, vous pourrez apercevoir Jean-Pierre au loin, le voisin du dernier étage, qui s’évertue à enseigner la planche à voile à ses neveux et nièces avec la même intensité qu’il dégage pour organiser des apéros réservés à la “copro” dès l’apparition des premières lueurs de l’été. Et si possible, allez dans le salon qui se situe sur votre droite, parce que, comme tout le monde s’accorde à le dire dans l’immeuble, « il se prête vraiment bien aux apéros, à cinq comme à quinze ». Et puisque vous êtes là et que toutes les portes ne sont pas encore posées, profitez-en pour jeter un coup d’œil au reste de l’appartement, certains détails vous feront certainement sourire, d’autres évoqueront sans le savoir vos propice²opres souvenirs. Et si ce n’est pas le cas, ne paniquez surtout pas, ce n’est pas grave, car cette visite vous aura donné au moins un aperçu de ce à quoi peut ressembler un lieu de vie où règne le bonheur et la convivialité, deux thèmes dont Marion tient à vous rappeler l’importance à travers cette exposition.
« Résidence vue mer » est donc bien le titre. Alors oui, cela aurait aussi pu s’appeler autrement, comme « la parenthèse enchantée », mais avouez-le, cela vous aurait rendu nettement moins curieux, et en plus c’est déjà le titre d’un film sorti en 2000, un film tourné juste à côté qui plus est, dont je vous laisse imaginer l’histoire.
Sophie Pinet

Marion Mailaender vit et travaille entre Paris et Marseille. Formée à l’École Boulle, elle conçoit depuis 2004 aussi bien des objets de design que des scénographies, des lieux de vie ou des espaces hôteliers ou commerciaux.
Marion Mailaender assoit son travail sur la dualité. Elle exerce son métier avec une rigueur de technicienne, avide de résoudre les problèmes réels posés par l’aménagement d’un appartement, d’une boutique ou d’un hôtel. Ses références structurelles prennent leurs sources dans les principes du design : la forme et la fonction. Elle y ajoute une recherche visuelle qui se fonde sur des détails, lesquels tordent et assouplissent les espaces et les volumes de ses projets.
Sans considération pour une hypothétique hiérarchie des genres, elle appréhende d’un même regard une sculpture contemporaine, un meuble design, un objet chiné ou un bibelot publicitaire. Ces scories esthétiques, objets ordinaires, donnent une place à l’âme quotidienne qui habite les espaces créés ; ils constituent une des spécificités des projets de Marion Mailaender.
« Less is more, too much is cool » : elle est à la croisée entre le minimalisme et les détournements ludiques, parfois nostalgiques, hérités du postmodernisme. Ses réalisations sont d’une construction rigoureuse par une personnalité qui affectionne l’aspect plans, coupes et calculs de son métier. Elles forment l’ensemble de son travail où résonnent les ambiances créées par l’équilibre entre des éléments du quotidien et des pièces d’exception.
Les tuyaux en plastique et les valves dans une salle de bain rappellent l’ancienne vocation de club de plongée du lieu, ou bien une création de designer, comme une coffee table de Wendy Andreu, le tout assorti d’une étagère en pseudo colonnes des années 1970, constitueront une tension entre approche pointue du mobilier et ouverture à la jeune création. Ce parti pris éclectique synthétise l’ensemble de sa carrière, à travers des projets pivots comme le mobilier d’Endless Summer (2013), la boutique d’Amélie Pichard (2017) ou Tuba Hotel (2020).
Comment estimes-tu t’inscrire dans le design et l’architecture d’intérieur ?
— Je suis à cheval entre l’architecture et la décoration. Je me considère comme une architecte d’intérieur qui dessine et optimise des espaces et des lieux pour leur attribuer une fonction. Je me mets au service des gens qui vont utiliser mes projets au quotidien. L’architecture d’intérieur est un métier utile, qui nécessite bon sens et logique. Plusieurs femmes architectes d’intérieur ont confirmé mon idée que ce métier est aussi fait pour les femmes. Autant la décoration pure est considérée comme un métier assez féminin, ce n’est pas le cas de l’architecture, d’intérieur ou non. Andrée Putmann, Gale Aulenti et Lina Bo Bardi dont la maison qu’elle a réalisée tout en transparence m’a fascinée la première fois que je l’ai vue, sont des figures qui m’ont inspirée.
Comment vis-tu ta nomination à la présidence de la Design Parade ?
— J’ai un petit syndrome de l’imposteur mais je suis très heureuse de soutenir la jeune création. J’apprends grâce à eux ; tous les dossiers que j’ai vus donnent un éclairage sur l’architecture de demain. Et je crois beaucoup aux rencontres, c’est une chance tant pour nous que pour ces jeunes. Professionnellement et humainement c’est très important. Ma consigne de sélection était de privilégier la créativité. On a sélectionné ceux qui ont un discours architectural, qui s’emparent du volume et de l’espace, tout en faisant preuve d’imagination et de curiosité ; ceux qui se posent des questions. J’aborde la Design Parade avec beaucoup de joie. C’est le seul festival en architecture d’intérieur qui donne une place à la jeune création avec autant d’éclectisme. C’est simple et spontané à la villa.
Quel est le programme de ton projet ?
C’est un projet domestique autour d’une résidence balnéaire idéale. J’y explore l’idée du logement collectif dans un immeuble avec vue mer. Je veux proposer un autre point de vue sur la Méditerranée, avec un focus sur ces constructions d’après-guerre qui incarnent une sorte de French Dream lié aux vacances, aux congés payés et à un bien-être un peu opulent inspiré des années 1970, de la Riviera, etc. C’est aussi une réminiscence du quartier dans lequel j’ai grandi à Marseille, façonné par des constructions d’après-guerre dites « de standing », avec leurs portes en métal à poignée en laiton et hall de marbre. C’est un peu la rencontre entre ma mythologie personnelle et une mythologie universelle autour d’une certaine idée de l’habitat collectif des villes côtières.
C’est un appartement expérimental. Il y a beaucoup d’objets évocateurs plutôt que concrets, comme la vue mer par exemple. Ce sont des silhouettes, comme la salle de bain ou les balustres en savon. C’est une image de ce qu’est un appartement de vacances, avec des esquisses et des essais sur ce que peut être une cuisine un peu technique ou une plateforme salon avec une vue. Je prends la parole sur un sujet sur lequel je ne pourrais pas travailler dans un autre contexte. Je montre des choses qui me tiennent à cœur, et pour une fois je ne suis pas obligée d’être fonctionnelle. Ce rideau avec vue mer je ne l’aurais pas fait ailleurs, c’est un décor, un trompe-l’œil adapté à l’exercice. Pourtant je suis capable d’expérimenter d’après des idées et des aménagements qui pourront trouver leur application dans de futurs projets.
Cet exercice me permet d’envisager beaucoup de choses comme faire sortir le visiteur par un dressing ou sonner chez quelqu’un qui n’existe plus. Beaucoup de détails apportent un équilibre entre les choses brutes, expérimentales ou locales et les réalisations sophistiquées obtenues avec des artisans. Je prends le lieu avec ses contraintes et j’en fais une force.
Emmanuelle Luciani et Élie Chich

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