Anaïs Fernon, Prix du Mobilier National, Matières sensibles, résonances publiques

Lauréate du prix Mobilier national à la Design Parade 2024, Anaïs Fernon est in-vitée à concevoir un ensemble de pièces au sein de l’Atelier de recherche et de création (ARC), accompagnée des artisans : Jérôme Bescond, Julien Hacard, Quiterie Feix et Dimitri Herencia.

Elle choisit d’explorer le liège, un bois peu présent dans l’histoire des arts décoratifs, mais dont l’usage, aujourd’hui, résonne avec les enjeux écologiques1.
Anaïs aime révéler autant les qualités sensibles des matériaux que leurs propriétés physiques – ici, les capacités thermiques (λ = 0,043 W/mK) et absorbantes (α ≈ 0,6 en version expansée) du liège – pour les inscrire avec justesse dans un objet ou un espace.

Le temps de la recherche est aussi celui d’une attention portée aux filières. Le liège naturel, issu d’un savoir-faire manuel en déclin en France2, conduit Anaïs et l’ARC jusqu’à la famille Junqué, l’un des derniers leveurs de liège. Pour le volume du meuble, l’équipe fait appel à Agglolux, une entreprise familiale landaise qui recycle des bouchons de vin en liège aggloméré. La réalisation de ces pièces met en lumière des entreprises du patrimoine vivant (EPV) dont le savoir-faire est rare et fragile.

La destination du mobilier constitue un deuxième axe de recherche. Un numéro d’inventaire est attribué aux pièces conçues pour le Mobilier national. Elles deviennent ainsi inaliénables, imprescriptibles et insaisissables. Quelle pièce mérite une telle conservation ? Cette responsabilité porte Anaïs vers l’usage d’un contexte précis.

Les institutions meublées par le Mobilier national, sont les scènes où s’expriment le débat d’idées, se façonnent les politiques publiques et où se joue la démocratie. Quel mobilier pourrait soutenir cet art oratoire ? Un paravent, conçu comme un fond de scène, qui offre un confort pour l’expression orale. Son endroit en inox lisse porte la parole par réverbération, son envers en relief de liège absorbe les bruits parasites. Avec l’aide de l’acousticien Jean-Paul Lamoureux, le volume arrière est dessiné comme un résonateur d’Helmholtz, un agencement de cavités et de cols étroits qui filtrent précisément les fréquences de la voix humaine (entre 100 et 400 Hz).

Dans les grands décors patrimoniaux des institutions, peu d’aménagements acoustiques sont possibles. Ce paravent, à mi-chemin entre objet et microarchitecture, s’y place discrètement : sa face en liège est teintée d’un brun roux institutionnel, tandis que sa face en inox, du sablé au poli-miroir3, reflète l’environnement avec nuances. Un pupitre assorti complète l’ensemble. Pour la Design Parade, de grandes tapisseries de René Perrot (1912-1979) sont sorties des réserves et installées inclinées aux murs et au plafond afin de renforcer encore l’absorption acoustique. Les œuvres – Voyage en France n° 1 et n° 2 (1961) et Hommage à John James Audubon (1954) – trouvent ainsi une résonance contemporaine dans ce dispositif.

Du fait de la fusion récente des Manufactures nationales, les ateliers de la Manufacture de Sèvres ouvrent leurs portes à Anaïs pour la réalisation de pièces en porcelaine qui complètent le paravent. De là est née l’intention d’un service à café adapté aux réunions institutionnelles.

Le service emprunte des formes historiques du répertoire de Sèvres : les corps des tasses proviennent du service Litron ; les anses conçues par l’artisan Patrice Cloud ont été ajustées. Seul le bec a nécessité un moule sur mesure. Ces formes déjà éprouvées par les artisans assurent une production fluide, sans développement de nouveau geste. Un plateau en liège, protecteur et isolant, accueille la porcelaine et conserve la chaleur du café le temps d’une réunion. D’après les tests de la physicienne Claire Marrache, le liège est dimensionné pour au moins trente minutes de café chaud. La sobriété de l’ensemble – plateau et porcelaine – tient à sa simple composition et à l’alignement de ses anses.

Le service ne nécessite pas d’être dressé : il se déplace, se pose rapidement et s’utilise sans gêne. Il se pose sans bruit sur un coin de table ou accompagne les longues discussions sans refroidir. À l’arrière-scène du paravent, le service à café, logé dans son écrin de liège, va de pair avec les échanges feutrés qui précèdent toute parole publique.

1 Issu d’un arbre non coupé, capteur de CO₂, le liège est peu transformé et biodégradable, sa filière participe à la préservation des forêts de chênes-lièges dans le Var ou dans les Landes.
Sa récolte implique des forêts vivantes entretenues, où les arbres ne sont pas abattus.
2 Dans les années 1920, la filière du liège représentait 150 entreprises employant 2 000 personnes. Aujourd’hui, elle compte 2 entreprises employant une dizaine de personnes.
3 Le dégradé sablé est réalisé par SGM Legrand.

Tapisseries Latérales : Voyage en France n° 1 et n° 2 (1961), René Perrot

Tapisserie au plafond : Hommage à John James Audubon (1954), René Perrot
Table basse : Modèle Piano (2010)
Paravent, pupitre, service à café et plateau : Matières sensibles, résonances publiques (2025), Anaïs Fernon

Exposition réalisée en partenariat avec Les ateliers de la Manufacture de Sèvres

Avec le soutien de Codimat, Pierre Frey, Iguzzini, SFEL, Junqué, Agglolux, Make’s
Concept Store

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